La Lettre de l'AGSAS n°81
Mars 2025
ÉDITORIAL
Notre monde est si plein d'incertitude qu'on a du mal à le penser. Et pourtant, c'est bien de cela qu'il s'agit, continuer à réfléchir ensemble à notre condition humaine et envisager le monde d’aujourd’hui et de demain. C'est pourquoi les collectifs porteurs de valeurs humanistes ont un rôle essentiel pour tâcher d'anticiper les bouleversements actuels dans leurs aspects positifs ou négatifs et de résister aux dérives qui peuvent menacer.
Il en est ainsi notamment autour de la question de « l'Intelligence Artificielle », sujet qui suscite actuellement tant de débats. Il est urgent de penser l'impact de ces technologies sur l'être humain, en particulier sur les enfants et les adolescents.
La difficulté à se projeter dans un futur qui recèle une grande part d'inconnu est potentiellement anxiogène. Des études de santé récentes montrent que la santé mentale des enfants et des adolescents s'est dégradée en France et à l'étranger. Il est essentiel de le prendre en compte.
Vous trouverez dans cette lettre une tribune et une pétition d'un collectif (UNICEF, CEPe..) que l'AGSAS soutient et qui réclame la création d'un ministère et une convention citoyenne pour l'enfance.
De même, nous soutenons les RASED à travers le collectif national et des actions comme celle pour éviter la suppression de postes d'enseignants spécialisés dans un CMPP de Haute-Vienne (courrier et pétition sur le site).
Alors dans ce contexte plutôt pesant, il nous faut trouver des ressources : la rencontre avec les autres, le partage et l'agir ensemble, mais aussi à travers l'art, la nature et tout ce qui amène de la lumière...
Pour conclure cet éditorial, je laisse donc la parole au poète François Cheng :
« La vraie beauté est l'élan même vers la beauté, fontaine à la fois visible et invisible, qui jaillit à chaque instant depuis la profondeur des êtres en présence. »
Et vous trouverez de belles choses dans cette lettre ! Bonne lecture !
Christine Mariotte
VIE DE L' AGSAS
Vidéo
Connaissez-vous la rubrique Vidéos du site de l'AGSAS ?
C'est le moment de la (re)découvrir en visionnant le Dialogue imaginaire entre Dominique Ginet et Jacques Lévine, montage réalisé par Georges Chappaz à partir de leurs interventions aux Universités d'été de Provence. C'est à nouveau disponible, ici !
La revue N°35
Elle arrive, en avril !
Ce numéro, comme d'habitude, comporte le dossier des interventions et ateliers du colloque d'octobre 2024, dont quelques traces sont déjà sur cette page de notre site.
Mais il est aussi riche de témoignages : sur les Ateliers de Réflexion sur la Condition Humaine (ARCH)® dans différents contextes avec des enfants ou des adultes, sur le Soutien au Soutien® ou sur des dispositifs qui s'en inspirent.
Sans oublier les textes théoriques et les recensions... et les illustrations au fil des articles.
La revue est incluse dans l'adhésion (à 40€) et les adhérents la reçoivent dès sa parution.
Des exemplaires en nombre limité sont disponibles à la vente.
ACTIONS AVEC LES PARTENAIRES
Rencontres nationales ATD Quart monde
Elles auront lieu du 21 au 23 mars 2025 à Méry-sur-Oise autour du livre Apprendre des scolarités abîmées. (Recension ci-dessous).
Pour vous inscrire, c'est ici
Forum des Rased
Le 13e forum des RASED aura lieu le samedi 15 mars 2025 dans la salle Hénaff de la bourse du Travail à Paris 11e.
Le thème : RASED et parents d'élèves, quels liens ?
Plus d'infos sur le site de l'AGSAS.
Le collectif RASED87 et les CMPP de Haute-Vienne
sont co-signataires d'une lettre ouverte pour le maintien de quatre postes d'enseignants spécialisés.
L'AGSAS soutient cette initiative. Une pétition en ligne est ouverte.
Retrouvez toutes les informations.
Pour un grand ministère de l'Enfance et une Convention citoyenne :
Allons enfants !
C'est le titre de la tribune publiée le 11 février dans le journal Le Monde par le CEP-Enfance avec l'UNICEF et la Dynamique pour les droits des enfants.
En tant que membre du CEP-Enfance, l'AGSAS donne toutes les informations pour lire et signer cette tribune sur sa page Actualités.
Congrès FNAREN : du 25 au 28 juin 2025
C'est à Malakoff qu'aura lieu le 38e congrès de la FNAREN.
Il aura pour thème : Aider à l'école. Quelles postures professionnelles ?
Pour les informations, cliquer sur ce lien.
AGEEM : 98e congrès national à Colmar
Du 2 au 4 juillet 2025, l'AGEEM propose de réfléchir autour du thème de l'éducation au développement durable dès la maternelle.
Aujourd'hui pour demain en est le titre.
Vous pouvez consulter le guide de réflexion et le cahier des charges si vous souhaitez présenter une exposition pédagogique sur le site de l'AGEEM.
À DÉCOUVRIR
"Je comprends rien" Pourquoi les ados résistent-ils aux apprentissages ?
De Julien Cueille
À lire ! Laissez-vous cueillir…
Les constats sur le délitement du monde sont là et les ados ont de bonnes raisons d’angoisser… Ce livre est un témoignage, une photo d’un lycée d’aujourd’hui mais qui a l’ambition de porter un regard caméra sur ces lycéens et de croire en leur désir d’avenir.
Julien Cueille dénonce la médicalisation généralisée des comportements – 1/6e des ados sont concernés – et l’explique par l’impératif de réussite conjugué à la pression sociale qui fatiguent et fragilisent les ados qui vont alors se réfugier dans les médicaments ou les groupes identitaires.
L’auteur invite à mettre les maux en mots plutôt qu’en algorithmes, la subjectivité de tous les acteurs éducatifs devant être prise en compte.
Du côté des ados, l’omnipotence de Pronote, l’impossibilité à se projeter dans l’avenir explique le nouveau « cogito » adolescent : « ”Je” suis un être unique et singulier, mais à fleur de peau, je manque de confiance et je doute ; je délègue une partie de mes fonctions de pensée […] à une IA qui m’accompagne tout au long de ma vie. »
Ce phénomène d’externalisation de la pensée fait du dieu numérique un Sujet Supposé Savoir et renforce les postures passives : ce n’est plus en soi qu’on peut trouver les clés de l’énigme.
Faute de parvenir à modéliser une IA conforme au cerveau humain, certains schémas comportementalistes espèrent modéliser le cerveau selon les standards de la machine où pensée complexe et mécanismes de défenses inconscients sont exclus.
Les ados ne savent pas pourquoi ils n’y arrivent pas et la responsabilité de leurs difficultés scolaires est souvent imputée à un tiers (notamment les enseignants). Cependant leur demande de cadre persiste, même s’ils souhaitent le transgresser. Faute de cadre interne, et donc de pensée personnelle, certains ados vont courir derrière le mirage du « chef ».
Julien Cueille note dans ce contexte que le fait de parler de soi, de réfléchir sur soi avec les autres, comme les ARCH le proposent, est une occasion pour élaborer ce cadre interne.
Du côté des enseignants, il note la nécessité que tout enseignant ait dans sa boîte à outils la notion de contre-transfert qui lui permettrait d’entendre l’angoisse derrière le conflit pour ne pas être déstabilisé psychiquement.
L’auteur termine par des propositions de solutions : effectifs diminués, revenir sur la réforme de 2018 qui a explosé le groupe classe, organisation de débats, entretiens personnalisés avec chaque élève, remettre l’art et la culture dans leur quotidien pour lutter contre la crainte de l’effondrement qui plombe la société actuelle.
Sabine Gessain
Apprendre des scolarités abimées
Coordonné par Régis Félix aux Éditions Quart Monde- Le bord de l'eau ATD Quartmonde
Le titre de cet ouvrage pourrait nous faire croire qu’il s’adresse essentiellement aux professionnels de l’éducation. Si c’est bien le cas et si tout acteur de l’école (enseignant.e, chef d’établissement, Conseiller Principal d’Éducation, Accompagnant d’Élèves en situation de Handicap, Psychologues, etc.) trouvera entre ces lignes matière à repenser l’accueil qu’il réserve aux plus pauvres, ce livre est aussi à mettre entre toutes les mains. Parents d’élèves, simples citoyens, élus locaux, nous côtoyons tous ce public de la marge, parfois sans y prêter attention et sans interroger l’impact de notre attitude, de nos paroles sur le devenir de ces personnes malmenées par la vie. En parvenant à « faire entendre la voix des plus pauvres sur l’école » ce livre nous interpelle sur les défaillances de l’école et ses conséquences sur les trajectoires de vie.
Douze personnes issues de la grande pauvreté. Elles ont entre 17 et 65 ans mais c’est comme si leurs histoires se passaient à la même époque ! Comme si en 50 ans, malgré les savoirs acquis sur ce qui favorise la réussite de tous, y compris des plus fragiles, rien n’avait changé sinon à la marge.
Douze scolarités abîmées alors même que nous avions les clés pour les protéger.
Douze interviews qui nous touchent par l’authenticité et la force de la parole donnée, par la finesse des analyses. À leur lecture, des évidences oubliées nous frappent au détour d’une phrase : « Il faut trouver une école où l’on puisse s’émerveiller de la vie » (Anne). « Quand les mots manquent, on a besoin des mots des autres » (Violaine). « Dès la maternelle j’étais en retard. Quand on part en retard, comment faire ? »
On suit avec effarement le déterminisme des trajectoires des unes et des autres mais c’est avec admiration que l’on découvre leur capacité de résilience, leur combat quotidien pour défier la fatalité, offrir une vie meilleure à leurs enfants.
Toujours en lien avec David, Stéphanie, Thierry et les autres, la deuxième partie du livre nous apporte l’éclairage de ceux et celles qui les ont côtoyés et nous invite à de nouvelles interprétations de leur parcours de vie, une meilleure compréhension des différentes dimensions de la pauvreté et de la maltraitance institutionnelle de l’école qui les renforce.
Le livre s’achève sur une troisième partie ouverte sur le futur, une co-réflexion entre les chercheurs et les personnes concernées sur le pouvoir d’agir, les leviers à activer (le rapport au temps, au programme, à la diversité des intelligences). Ensemble, ils réaffirment les valeurs d’une école émancipatrice et le besoin d’enseignants formés à la relation. Ils réhabilitent la nécessité de recourir à des dispositifs pédagogiques respectueux des différences.
Oui, nous avons beaucoup à apprendre de ces scolarités abîmées.
Josse Annino
Redonner du sens au travail, une aspiration révolutionnaire
Thomas Coutrot, Coralie Perez, éd. Seuil, 2022.
Thomas Coutrot est statisticien et économiste, cofondateur des « Économistes atterrés », il a été directeur de la Direction de l’Animation et de la Recherche en Études Statistiques au ministère du travail. Coralie Perez est socio-économiste à l’université Panthéon-Sorbonne.
J’ai beaucoup aimé l’alliance de la rigueur des statistiques, du recul de l’histoire et de la puissance de la vision politique sur la question du sens du travail. Il en résulte dans le livre un va-et-vient permanent entre les situations concrètes et les grandes orientations de la société.
Le livre part de descriptions de succès dans l’accomplissement du travail (toiture finie dans les délais, etc.), ou d’évolution qu’on peut qualifier de morbide. Ainsi la demande faite aux préparateurs de palettes dans les entrepôts logistiques : passer d’une certaine possibilité d’émergence d’un savoir-faire autonome il y a une quinzaine d’années, à la simple exécution des ordres de l’ordinateur, casque sur les oreilles, travail qui ne peut être soutenu que quelques mois avant de provoquer des pathologies. De ces descriptions, les auteur.es tirent les trois dimensions du sens du travail : utilité sociale, fierté du travail bien fait, et conscience d’avoir appris en surmontant les différences entre travail prescrit et travail réel.
Mais en quoi consiste cette révolution mise en avant dans le titre ?
« Il fut un temps où l’on cherchait avant tout à occuper un emploi. Aujourd’hui, il se pourrait bien que la priorité soit donnée au sens du travail », est-il écrit dans la quatrième de couverture.
Révolution, oui mais pour qui ? Ne serait-ce pas une vision partielle de la société qui oublie que ceux qui occupent les emplois les moins qualifiés n’ont pas le choix ?
Dans le deuxième chapitre « Un problème de riches », les auteur.es témoignent que les personnes soumises à un travail pénible trouvent plus difficilement du sens à leur travail. Par ailleurs, les statistiques montrent que « pour les 20% d’ouvriers dont le score de sens au travail chute le plus entre 2013 et 2016, le risque d’entrer en dépression est multiplié par deux, exactement comme pour les cadres. Le sentiment d’inutilité, les conflits éthiques et l’impossibilité de développer ses aptitudes dans son travail font tout autant souffrir les salarié.es du bas de l’échelle que les autres ».
« En définitive, l’originalité de notre approche est de considérer le sens du travail à partir d’une conception politique du travail : en produisant des biens et des services, on transforme le monde, on se transforme soi-même et on (re)produit les normes politiques qui organisent la société. »
À quoi tout cela peut-il aboutir ?
Ici, les statistiques prennent tout leur sens !
Par exemple, il est établi que les équipes d’aide à domicile qui peuvent organiser elles-mêmes librement leurs tournées ont statistiquement moitié moins d’hospitalisation de leurs patients que les équipes dirigées par des encadrants qui établissent des protocoles uniformisés de prise en charge des patients et font pointer les salariés.
À une échelle un peu grande (1100 salarié.es), un grand centre de relation client organise le travail par la durée moyenne de traitement, calibrée pour maintenir la pression sur les téléconseillers, d’où un turnover très élevé. La section syndicale met en place de brèves réunions pendant les temps de pause avec cette question : « C’était quand la dernière fois que tu as été fier-ère de ton travail ? » Ce qui a permis des échanges sur les stratégies des uns et des autres pour faire du travail bien fait, par exemple prendre davantage de temps pour un client en difficulté en enfreignant les règles. D’où une plus grande estime de soi et davantage de cohésion entre travailleur.es. D’où aussi des petites améliorations sur le matériel, la rémunération d’heures supplémentaires, l’attitude des managers. De plus, la section syndicale est passée de 25 % à 49 % des voix sur l’établissement.
Thomas Coutrot : « J’ai essayé de creuser l’idée hétérodoxe selon laquelle la justice et l’efficacité, loin de s’opposer, vont de pair : la délibération démocratique entre égaux est non seulement préférable au plan éthique mais aussi plus économe en ressources de tous ordres que la hiérarchie bureaucratique et/ou capitaliste. Je me suis aussi intéressé à la manière dont l’organisation du travail dans l’entreprise impacte la vie démocratique dans la cité. »
« Le travail est d’abord l’activité organisée par laquelle les humains transforment le monde naturel et social et se transforment eux-mêmes. » Or, « le résultat majeur des sciences du travail est de montrer que l’activité réelle de travail diffère toujours de celle qui a été prescrite par les dirigeants. » « C’est cette liberté nichée au cœur de l’activité de travail qui fait de ce dernier un enjeu politique majeur. »
Pour Thomas Coutrot et Coralie Perez, une des voies d’avenir est la constitution de groupes sans hiérarchie pour réfléchir sur l’organisation du travail en préalable à la discussion avec la hiérarchie… ce qui n’est pas sans rappeler une des finalités des groupes de Soutien au Soutien®.
Christian Deligne
ÉCHOS DU TERRAIN
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À vos plumes !!!
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